Contact: ahaquart@bat-translate.fr
Bat-Translate est un projet de recherche et développement pour le suivi de la biodiversité par l’acoustique.
L’objectif du projet est de développer une solution technique entièrement automatisée: un enregistreur connecté qui envoie des rapports d’activité et des données pertinentes pour l’étude scientifique d’espèces cibles (chauves-souris, oiseaux, insectes…).
La Bioacoustique, est un domaine de recherche récent qui présente un avenir prometteur dans le domaine des suivis de la biodiversité (Browning et al., 2017). En France, l’analyse des enregistrements acoustiques pour réaliser des inventaires de chauves-souris est pratiquée depuis les années 2000 (BARATAUD, 2001) et fait aujourd’hui partie intégrante de programmes de suivi de la biodiversité (Cf. le programme Vigie Chiro du MNHN) et des méthodes d’inventaires de bureaux d’études.
Si les premiers inventaires acoustiques se réalisaient lors de balades nocturnes grâce à des enregistrements de quelques secondes, on cherche aujourd’hui à réaliser des enregistrements continus sur de très longues durées qui permettent d’appréhender la phénologie des espèces, leurs abondances locales et l’évolution de leurs populations.
Ce besoin d’enregistrements continus plonge le naturaliste dans des problématiques inattendues, celles du “Big Data” et du “machine learning”, des traitements statistiques complexes sans lesquels la masse de données collectées serait inexploitable.
Ces techniques d’analyse sont en pleine évolution et il existe énormément d’outils, de matériels, logiciels, méthodes et publications scientifiques, pour réaliser des suivis bioacoustiques et parvenir à l’acquisition des connaissances. Mais chacun de ces outils présente des problématiques particulières et il s’avère que c’est souvent à la charnière entre 2 outils que les “verrous” apparaissent et bloquent ou ralentissent l’information.
Entre le son enregistré sur le terrain et l’utilisateur, on distingue schématiquement 4 grandes étapes:
La majorité des outils disponibles sur le marché ne permettent d’exécuter qu’une de ces étapes. En partant de notre vision globale du processus, nous proposons une solution qui intègre les 4 étapes.
Actuellement (2019), la solution s’appuie sur le même modèle d’analyse que le programme Vigie Chiro du Muséum National d’Histoire Naturelles (Tadarida), mais avec nos propres bases de données de références.
Les données générées par Bat-Translate ont un format compatible au standard proposé par Vigie-Chiro et peuvent alimenter les bases de données du Muséum si le client le souhaite.
Pendant la nuit le détecteur enregistre lorsqu’il détecte du “bruit”, puis le matin les données sont tranférées sur un serveur pour être annalysées (reconnaissance automatique), mis en graphique et envoyé au client. Les données brutes (sons .WAV) restent disponibles pour des validations ultèrieures mais l’objectif est de disposer quotidiennement de données sur l’évolution de l’activité acoustique d’une part et d’autre part sur le bon fonctionnement du système (Cf plus loin).
Le détecteur utilisé en phase test est un “Teensy passive recorder” ( PiBatRecorderPojects)
L’assemblage technique et le protocole de communication ont été développés par Serge ORTEGA (Société Régie-Technologie).
Le protocole d’analyse est développé par Alexandre HAQUART.
Pour le développement de Bat-translate nous avons voulu travailler en conditions réelles. La mise en place du prototype sur un site public nous met en situation de production et le flux continu de données permet de développer des indicateurs de facon pragmatique.
le site naturel protégé des Marais de Vigueirat, propriété du Conservatoire du littoral, se situe au bord de la méditerranée, au sud de la commune de Arles, à la lisière de la Camargue.
L’endroit nous est paru idéal pour tester notre système pour plusieurs raisons:
Les bâtiments du centre d’accueil des Marais du Vigueirat. Le micro se situe dans l’arbre derrière le bâtiment central, une importante colonie de Pipistrelle se situe dans le bâtiment de droite.
Le micro de notre enregistreur se situe en canopée, à environs 15m de haut dans le frêne au centre de la photo.
L’enregistreur se situe dans une ripisylve, à proximité de bâtiments entourés de grandes zones humides.
Le prototype “tourne” depuis 6 mois sans panne mécanique majeure bien que le système soit mis à rude épreuve. L’activité des chauves-souris est en effet très forte, plus de 8000 fichiers d’enregistrements sont collectés certains jours.
Plusieurs périodes d’enregistrements sont manquantes en raison de bugs liés au protocole de transfert des données (engorgement des files d’attentes). Chaque nouveau bug permet de mettre en place de nouvelles solutions qui confortent la stabilité du système, c’est le but de ce test grandeur nature.
Les résultats sont mis à jour quotidiennement, ce qui permet d’exercer une veille sur le bon fonctionnement de la machine.
Les rapports automatiques quotidiens sont produits sur une base entièrement statistique. Cela signifie que ces résultats bruts doivent être interprétés avec le regard critique de l’expert. Des erreurs d’identifications peuvent en effet être présentes, certaines espèces étant acoustiquement très proche (Pipistrelle de Kuhl et de Nathusius par exemple ou Sérotine commune et Noctule de Leisler). Néanmoins la quantité de données amassées est telle que l’on peut se permettre de filtré les identifications litigieuses (à faible indice de confiance) et obtenir des indices de variations de l’activité fiables.
La majorité des informations sont stockées et il est donc possible de revenir sur ces données pour le rapport final.
Le développement des rapports se fait au fil de l’eau, ils sont donc destiné à évoluer.
Les rapports quotidiens ont un but de veille sur le bon fonctionnement du système ainsi que sur la présence/abscence des espèces. Ce rapport est destiné aux personnels de terrain, techniciens et chargés d’études. C’est une sorte de flash d’actualité sur le bilan de la nuit passée.
Exemple de rapport journalier
Le rapport de synthèse cumule toute les données depuis le début du monitoring. Il donne une vue, par espèces, de l’évolution des effectifs dans le temps. Exemple de rapport de synthèse
Ces résultats ont étés présentés aux Rencontres Chiroptères Grand Sud le 26 octobre 2019 à Montélimar. Lien vers le diaporama
Entre le 17 mai et le 28 septembre notre prototype a enregistré plus de 400 000 fichiers de 5 secondes, ce qui a produit plus de 780°000 données (chaque fichier peut en effet contenir plusieurs identifications). 80% des nuits ont été entièrement échantillonnées (nuits complètes d’enregistrements – retenues pour les statistiques). 20% des nuits sont manquantes ou partielles en raison de bugs liés à l’encombrement des files d’attentes de transfert des fichiers (certaines nuits dépassent les 15°000, il a fallu adapter les procédures à ce flux).
Du point de vue phénologique on observe deux périodes d’activité très distinctes sur les Marais du Vigueirat. La première période, de fin mai à fin juillet, correspond à la gestation, la parturition et à l’élevage des jeunes. La seconde période, de début août à fin septembre, correspond à l’émancipation des jeune, la dispersion des colonies et aux migrations. Durant la première période la plupart des espèces ont une activité faible, ce qui semble indiquer qu’elles ne se reproduisent pas sur les marais. Seules la Pipistrelle commune et la Pipistrelle pygmée sont abondantes et se reproduisent vraisemblablement dans les bâtiments du site. Nous avons observé des profils d’activité horaire typique indiquant la proximité de gîtes pour ces espèces. A partir de début août, notre suivi montre une augmentation de l’activité de la plupart des espèces.
De façon spécifique, les points notables sont les suivant :
La Pipistrelle pygmées (« Pippyg » sur les graphiques) est l’espèce la plus abondante sur les Marais du Vigueirat. La fréquentation est forte dès le printemps (jusqu’à 3 000 contacts/nuit) mais elle devient très forte en août (jusqu’à 5 000 contacts/nuit) ce qui suggère un apport de populations par des migrations ou des transhumances.
Le Grand Rhinolophe (« Rhifer ») a été enregistré presque tous les soirs en été mais avec une faible activité. Un ou quelques individus (probablement des mâles en estive) gîtent vraisemblablement dans les bâtiments du site.
La Noctule de Leisler (« Nyclei »), espèce réputée migratrice, est rare en première période puis devient commune en août et septembre.
Le Minioptère de Shreibers (« Minsch »), espèce méditerranéenne, est beaucoup plus fréquent en août que sur les autres périodes. Cette observation est notable car l’espèce est exclusivement cavernicole. La hausse de fréquentation est vraisemblablement liée à un déplacement de populations dans un gite de « transit » (les plus proches connus sont à l’étang de Berre et dans le massif des Alpilles). Le Minioptère étant acoustiquement très proche de la Pipistrelle Pygmée, il serrait légitime de suspecter un biais d’identification entre les deux espèces cependant les phénologies n’étant pas corr[élées nous considérons ce biais comme négligeable.
La Pipistrelle de Nathusius (« Pipnat ») espèce migratrice, est rare en première période puis devient commune en août et septembre. Nous avons observé des pics de fréquentation inhabituels, quelques heures d’activité continue en milieu de nuit (cf. les nuits du 10 et 15 août), qui font penser à de l’arrivage de migration en masse. Cette période de migration est cohérente avec la littérature. Ces observations acoustiques sont peu connues et demandent à être travaillées.
Pour finir, notre prototype a permis d’observer que les oiseaux (à priori des passereaux) chantent beaucoup plus les nuits de pleine lune.
Ce projet est modulable sur beaucoup d’aspects qui restent à développer, tant au niveau de la solution technique que de la reconnaissance automatique ou encore des modes d’illustation de l’activité. Jusqu’à présent Bat-Translate a été développé sur fond propre. Les orientations et la vitesse des développements futures dépendra des attentes des futurs partenaires financiers.